Disposition

Une disposition d’orgue contient, essentiellement sous forme de registres et de leur désignation, la palette de couleurs sonores d’un orgue et énumère ainsi la multitude de possibilités de son et de jeu que le maître artisan met à la « disposition » des organistes dans son instrument. Toutefois, même avec une composition identique, deux orgues ne sonnent pas exactement de la même manière. La propagation et la fusion des sons dépendent en grande partie des conditions de la pièce dans laquelle se trouve l’orgue. 

La composition de l’orgue permet néanmoins d’identifier en grande partie les intentions du facteur d’orgues. Certains registres et modes de construction sont en effet généraux et presque omniprésents, tandis que d’autres sont typiques d’un seul facteur d’orgues ou d’une école, d’une région ou d’une certaine mode à une époque donnée. Un registre de « soubasse » ressemble à tous les autres du même nom, alors qu’une « vox humana » peut avoir un aspect et un son totalement différents d’un facteur d’orgues à l’autre, même si l’intention sous-jacente, imiter le son de la voix humaine, est la même.

La structure d’une disposition contient d’une part des indications sur le nombre de claviers, d’autre part l’énumération des registres séparés selon les parties de l’œuvre et enfin les tirettes secondaires comme les couplages ou les effets sonores. Parmi ces derniers, on trouve surtout les bourdons, assez populaires à l’époque baroque, comme les cymbales, le rossignol/le chant des oiseaux, le coucou ou les timbales militaires, généralement constituées de deux tuyaux extrêmement graves désaccordés l’un par rapport à l’autre, dont les battements imitaient un roulement de tambour, mais parfois aussi de véritables timbales, fixées au buffet ou à la tribune, que l’organiste pouvait frapper en appuyant sur la pédale ! 

L’ordre des registres

 L’ordonnancement des noms de registres dans une disposition n’est pas totalement standardisé : dans les projets préparatoires, il n’est pas rare que les registres soient énumérés en fonction de leur position dans l’orgue, du principal placé à l’avant jusqu’aux registres du mur du fond. Bien que cela puisse parfois être informatif, dans les orgues du sud de l’Allemagne par exemple, les jeux de cymbales et les mixtures ou cornets étaient placés juste derrière le principal, ce qui favorisait leur rayonnement, cela ne permet pas de voir clairement l’ensemble des jeux.  
C’est pourquoi, pour en établir la liste, les noms des registres sont généralement triés selon les critères suivants :

  1. Tuyaux à bouches au début, à anches ensuite, suivis éventuellement d’effets isolés s’ils sont commandés à partir d’un clavier spécifique (comme les carillons).
  2. Registres graves avant les plus élevés, selon la position des pieds
  3. À l’intérieur de certaines positions de pied : d’abord les principaux, puis les grandes flûtes, les cordes étroites et les bourdons ; le cas échéant, des voix composées à l’extrémité des registres a bouche, si leur position de pied la plus basse (par rapport à l’ut) n’est pas indiquée.

La composition et son lien avec la planification et la construction d’un orgue

 Les principaux constituent traditionnellement le noyau d’une telle liste. Comme ils se trouvent si possible dans la façade, on peut estimer la hauteur d’un buffet d’orgue à partir de la position de leur pied le plus bas : si l’on considère qu’un pied mesure environ 30 cm, le tuyau le plus grave (la note do) d’un registre en 8' (la longueur sonore de ce même tuyau le plus grave) mesure environ 2,40 m (à quoi il faut ajouter le pied du tuyau). Si l’on tient compte des sommiers, des souffleries, de la transmission, etc., cette donnée correspond à une hauteur totale de l’orgue d’au moins trois mètres et demi à environ quatre mètres et demi, une taille courante pour un orgue. 

Un Principal de 16' (longueur des tuyaux sans pied : 4,80 m) nécessite en revanche une hauteur d’orgue d’au moins 6 à 7 m, sans oublier la structure renforcée qui doit supporter un tel poids. Il va de soi qu’il serait alors difficile de trouver suffisamment de place pour un sommier au-dessus…

Les petites orgues destinées à un intérieur bourgeois ou celles qui doivent encore être transportables (par exemple les orgues de procession), dont les dimensions sont donc proches de celles d’une armoire, n’offrent en général que deux mètres à deux mètres et demi de place en hauteur, un facteur d’orgues ne pourra et ne voudra y placer au mieux qu’un principal de 4' (1,20 m sans pied).

Les registres qui n’appartiennent pas au groupe des principaux constituent les autres ingrédients de la structure sonore de base : Certains d’entre eux complètent les registres principaux présents dans la mesure du possible à chaque position de pied, d’autres constituent des alternatives particulières à ceux-ci, ou sont des registres solistes à caractère individuel.

Parmi les registres complémentaires, on compte surtout les tuyaux bouchés graves, qui doivent fournir une base sonore éventuellement irréalisable techniquement, par exemple la « Soubasse » mentionnée, le « Bourdon » ou la « Quintetteadena » (chacun étant bouchés, mais de largeur différente). Certains registres (surtout le Penséee) peuvent également être utilisés comme alternatives dans le registre fondamental, comme dans l’exemple suivant : 

Ausgangsregistrierung:

Klangvariante 1

 Klangvariante 2

Klangvariante 3

Prinzipal 8’ ->

Gedackt 8’ ->

Rohrflöte 8’ ->

Gemshorn 8’

Oktav 4’

Oktav 4’

Oktav 4’

Oktav 4’

Superoktav 2’

Superoktav 2’

Superoktav 2’

Superoktav 2’


En revanche, les alternatives aux registres principaux des positions supérieures sont généralement des registres de flûte à large tessiture ouverte ; dans cet exemple, ils colorent le mélange sonore des trois positions de pied initiales respectivement de manière un peu plus douce ou, dans le langage du 18e siècle, « plus suave ». 

Ausgangsregistrierung:

Klangvariante 1

Klangvariante 2

Klangvariante 3

Prinzipal 8’

Prinzipal 8’

Prinzipal 8’ ->

Rohrflöte 8’

Oktav 4’

Oktav 4’ ->

Blockflöte 4’

Blockflöte 4’

Superoktav 2’ ->

Waldflöte 2’

Waldflöte 2’

Waldflöte 2’

 
Les registres solistes (dont beaucoup portent le nom d’instruments d’orchestre de l’époque) tels que la gambe, le hautbois ou la flûte traversière possèdent des qualités sonores particulièrement originales et n’ont généralement pas besoin d’être éclairés par des registres de pieds plus élevés. Outre l’utilisation purement soliste de tels registres (par exemple pour mettre en valeur une mélodie), on aimait faire des synthèses avec un autre registre de même registre, mais de construction différente, afin de créer un nouveau timbre. 

Ausgangsregistrierung:

Klangvariante 1

Klangvariante 2

Klangvariante 3

Prinzipal 8’

Flute travers 8’

Gamba 8’

Hautbois 8’

 

Gedackt 8’

Gemshorn 8’

 


  
Les imitateurs d’anches, Sesquialtera/Tertian et Cornett constituent un phénomène particulier. Il s’agit de registres composés qui, grâce à l’ajout précis de certaines harmoniques, imitent souvent de manière très fidèle les spectres sonores de nombreux jeux d’anches. Si de tels jeux servent à donner forme à la qualité sonore de la suavité, le baroque apprécie en outre la « gravité », l’effet sublime d’un plénum d’orgue qui remplit l’espace avec force et présence. C’est à cela que servent, outre les principaux, les registres aliquotes renforçant les harmoniques et les registres d’anches du groupe trombone/trompette. 

Ausgangsregistrierung:

Klangvariante 1

Klangvariante 2

Klangvariante 3

 

 

 

Trompete 8’

Prinzipal 8’

Prinzipal 8’

Prinzipal 8’ ->

Prinzipal 8’

Oktav 4’

Oktav 4’ ->

Oktav 4’

Oktav 4’

 

Quint 22/3

Quint 22/3

Quint 22/3

Superoktav 2’

Superoktav 2’

Superoktav 2’

Superoktav 2’

 

Mixtur

Mixtur

Mixtur

 

 

Zimbel

Zimbel

Pedal: (gekoppelt)

 

 

 

 

 

 

Posaune 16’

Subbaß 16’

Subbaß 16’

Subbaß 16’

 

Oktav 8’

Oktav 8’

Oktav 8’

Oktav 8’

 

Oktav 4’

Oktav 4’

Oktav 4’

 

 

Mixtur

Mixtur

 

Un orgue (fictif) contenant les registrations et donc les possibilités sonores susindiquées aurait donc la disposition suivante : 

 I+P

Manual:
Prinzipal 8’
Gemshorn 8’
Flute travers 8’
Gamba 8’

Rohrflöte 8’
Gedackt 8’
Oktav 4’
Blockflöte 4’
Quint 22/3
Superoktav 2’
Waldflöte 2’
Mixtur (2’ 4f.)
Zimbel (1’ 2f.)
Trompete 8’
Hautbois 8’

 P:
Subbaß 16’
Oktav 8’

Oktav 4’
Mixtur (22/3’ 5f.)

Posaune 16’

Avec ses 20 jeux, cet orgue aurait été considéré, selon la région, comme un orgue de taille petite à déjà moyenne pour une église de village cossue ou une petite église paroissiale urbaine, bien adaptée pour remplir suffisamment et efficacement de sons différents un espace pouvant accueillir jusqu’à 400 fidèles.

Une paroisse plus pauvre ne pouvait ou ne voulait s’offrir que 14 jeux, pouvait aussi renoncer à un ou deux jeux de 8' dans le clavier (flûte traversière ou gambe, bourdon ou flûte à bec). Si, en outre, cette église ne disposait pas d’un organiste attitré pour accorder régulièrement l’orgue, les trois jeux d’anches prévus seraient quelque peu problématiques, car ils se désaccordent souvent par rapport aux jeux de bouche, de sorte qu’un facteur d’orgues aurait éventuellement renoncé à la trompette de 8' et au hautbois de 8' et aurait disposé à la place l’imitateur d’anches Sesquialtera 2f. 

De même, l’octave indépendante de 4' à la pédale aurait éventuellement pu sembler superflue ; son but est moins de renforcer, ou plutôt d’éclaircir la basse, que de pouvoir reprendre une mélodie plus haute avec la pédale. Enfin, il aurait peut-être été préférable de n’ajouter qu’un registre de 2'. La disposition réduite se présente maintenant comme suit : 

 I+P

Manual:
Prinzipal 8’
Gemshorn 8’
Gamba 8’
Gedackt 8’
Oktav 4’
Blockflöte 4’
Sesquialtera 22/3’+13/5
Waldflöte 2’
Mixtur (2’ 4f.)
Zimbel (1’ 2f.)

P:
Subbaß 16’
Oktav 8’

Mixtur (4’ 5f.)

Posaune 16’

 Cet orgue posséderait encore,  naturellement avec quelques petites restrictions, une grande partie des variantes sonores et des effets décrits ci-dessus. Le pédalier n’est toutefois plus qu’un simple clavier de basses et ne contribue donc qu’à la base sonore de l’ensemble.

Mais selon les exigences musicales, on peut avoir besoin d’un deuxième clavier, par exemple pour jouer en « trio » soit 2 claviers et pédale différents, ou pour pouvoir mettre en valeur une partie mélodique comme c’est typiquement le cas pour le choral protestant ! La première étape de la planification consisterait alors à déterminer l’emplacement de ce deuxième clavier. En général, pour mettre en évidence l’effet sonore de ce deuxième clavier, on essaie de le placer le plus loin possible du grand clavier. 

La solution classique est le positif de dos qui, séparé du buffet d’orgue proprement dit, est installé dans le dos de l’organiste dans la tribune. D’autres solutions sont le positif de poitrine, certes dans le buffet d’orgue, mais placé en dessous du grand orgue proprement dit, directement au-dessus des claviers, en balustrade au-dessus du grand orgue ou plus rarement derrière celui-ci.

Bien entendu, les exigences techniques et acoustiques varient en fonction du lieu d’installation. Le positif de dos est certes placé dans une position très favorable du point de vue acoustique, mais la transmission doit y être amenée au prix d’une complication technique significative réduisant la surface disponible dans la tribune.

Comme alternative au positif de dos, le deuxième clavier pouvait être placé dans le buffet d’orgue proprement dit, mais à l’écart du grand orgue, par exemple comme positif de poitrine, ou en balustrade sous ou au-dessus du grand orgue. Mais pour cela, il fallait tenir compte de l’espace disponible dans le buffet d’orgue et dans le cas d’un positif de poitrine, il n’y a souvent que peu de place pour des registres de basses. L’orgue de fond ne pouvant être entendu qu’à travers le grand orgue, une partie de son volume sonore était ainsi perdu. 

L’aspect extérieur d’un deuxième clavier dépendait également en grande partie de la manière dont il est placé et associé au grand orgue. Les positifs de dos représentent généralement une image réduite du grand orgue. En revanche, cela est plus difficile pour les positifs de poitrine, ou les balustrades qui sont plus ou moins intégrés dans le buffet du grand orgue.

En supposant le choix traditionnel d’un positif de dos, un projet fictif de positif de dos, dérivé de l’œuvre principale ébauchée ci-dessus, pourrait maintenant sans doute ressembler à ceci : 

II + P






HW:

(neu zum RP:)

vom HW in das RP:




Prinzipal 8’

+ Prinzipal 4’


Gemshorn 8’



Flute travers 8’



Gamba 8’



Rohrflöte 8’





-> Gedackt 8’

Oktav 4’

+ Oktav 2’




-> Blockflöte 4’

Quint 2 2/3

+ Quint 11/3


Superoktav 2’





-> Waldflöte 2’

Mixtur (2’ 4f.)

+ Mixtur 3f.


Zimbel (1’ 2f.)



Trompete 8’



Hautbois 8’



 Les registres du principal reçoivent chacun leur équivalent direct une octave plus haut, et quelques registres doux du grand-orgue sont attribués au positif de dos et peuvent désormais être utilisés non pas comme alternatives, mais en réponse avec les registres du grand-orgue. 

Le contraste entre les sons gracieux et suaves caractérise désormais les deux claviers. Un facteur d’orgues du XVIIIe siècle aurait certainement tenté de l’accentuer encore, en ajoutant par exemple un registre de 16' doublé pour le grand orgue et un registre d’anches avec de courtes superpositions pour le positif de dos. Le projet de disposition élargi se présenterait alors comme suit : 

II + P




HW:
Quintadena 16’
Prinzipal 8’
Gemshorn 8’
Flute travers 8’
Gamba 8’
Rohrflöte 8’
Oktav 4’
Quint 2 2/3
Superoktav 2’
Mixtur (2’ 4f.)
Zimbel (1’ 2f.)
Trompete 8’
Hautbois 8’

RP:
Gedackt 8’
Prinzipal 4’
Blockflöte 4’
Oktav 2’
Waldflöte 2’
Quint 1 1/3
Mixtur 3f.
Vox humana 8’

 Dans la dernière étape, la pédale devrait être complétée par un ou deux sons « doux », afin de pouvoir être jouée uniquement avec le positif de dos, par exemple un registre de 16' plus doux (par ex. bourdon) et une flûte de 8' (par ex. flûte creuse de 8’) qui ressemblerait alors à ceci : 

P:
Subbaß 16’
Bordun 16’
Oktav 8’
Hohlflöte 8’

Oktav 4’
Mixtur (22/3’ 5f.)
Posaune 16’

 L’ajout de claviers supplémentaires était l’une des marques distinctives des plus grandes œuvres. En règle générale, les caractéristiques sonores contrastées entre les claviers étaient encore renforcées et complétées par de nouvelles composantes sonores : le grand orgue restait gracieux, les sonorités suaves étaient généralement attribuées au plus petit des sous-ensembles, c’est-à-dire par exemple à un positif de poitrine, le positif de dos était « pénétrant » selon le langage du 18e siècle, dénué de la connotation négative que ce terme possède aujourd’hui. 

Autre alternative l’un des claviers devenait un pur solo comme le « récitatif » français ou un « écho » anglais avec peu de couleurs, mais très individuelles et très portant comme le cornet de 8' 5 f. (8’+4’+22/3’+2’+13/5’) l’autre étant dédié au continuo.  

L’étendue des combinaisons que les facteurs d’orgues ont développées au cours des siècles est trop variée pour être toute présentée ici en détail. Ainsi les dispositions de tels ou tels instruments des XVIIe et XVIIIe siècles qui nous sont parvenues montrent à quel point l’originalité sonore et conceptuelle des facteurs d’orgues et de leurs commanditaires à pu se concrétiser d’une grande diversité de manières. 

 
 
 
 

© Greifenberger Institut für Musikinstrumentenkunde | info@greifenberger-institut.de