Symposium International au Palais Rasumofsky  Vienne 1995: 

Restaurer, rénover reconstruire une méthodologie au service du Pianoforte

Par Helmut Balk

Mesdames, Messieurs, très honorable précédent orateur, j’ai à présent pour tâche de vous éclairer sur la restauration de ce pianoforte historique sujet de nos conférences. Pour commencer, quelque mots sur ma méthode : Tout d’abord et cela peut sembler un lieu commun pour nous tous, éviter toute erreur irréversible. Faire face à cette responsabilité signifie finalement laisser les instruments tels qu’ils sont sans toucher aux traces du passé. Uniquement conserver l’intégrité d’un instrument c’est aussi assumer une certaine responsabilité pour l’avenir et c’est une alternative qui ne doit pas être exclue. En effet, toute intervention dans un instrument traditionnel comporte des risques d’erreur et le risque de destruction irréversible d’informations. Cependant seule l’intervention accroît nos connaissances et seule la manipulation active des informations présentes dans l’instrument nous permet de les appréhender et il me semble important de souligner ce fait. 

Les informations que recèle un instrument sont liées à lui-même, mais aussi à son époque. La musique créée avec ces instruments devenus historiques a déterminé la musique en fonction de leurs qualités sonores. La musique de son temps exigeait un certain élément tonal, mais aussi une certaine jouabilité technique. Ce que les facteurs d’instruments pouvaient offrir répondait à des besoins précis. De plus, la diffusion de nouvelles inventions engendrait de nouveaux besoins. L’interprétation de l’interrelation des conditions et du conditionné reste un domaine difficile à aborder dans ce qu’un instrument historique représente aujourd’hui. Différentes approches sont nécessaires pour séparer ces diverses influences afin de pouvoir définir : le dessein d’une certaine époque, ce qui dépend d’une volonté créatrice et ce qui est pour ainsi dire est prédéterminé. Parce qu’elle ma semble particulièrement approprié et qu’elle vient d’un contemporain du pianoforte, je voudrais inclure une citation en guise d’introduction à ma théorie de la restauration.Elle est de Goethe, extraite de ses réflexions sur la météorologie, mais elle peut cependant être appréhendée comme une considération générale : « Il est important d’observer : que tout ce qui est ou semble, dure ou passe, n’est pas entièrement isolé, ne peut être pensé séparément ; qui dirige ? Qui sert ? Qui cause ou subit des influences ? De ces questions naissent l’une des grandes difficultés de toutes les affirmations théoriques et réside un grand danger : confondre cause et effet, maladie et symptôme, acte et caractère ». Même si cela semble relever plus de la philosophie que de l’artisanat, avant d’entrer dans le détail de ma méthode, il me semble nécessaire d’en préciser les contours. 

Des objets qui véhiculent quelque chose d’aussi immatériel que la musique, oui, qui est capable de tonalités pour créer une certaine image sonore, sont des messages de contenu qui ne nous est pas transmissible autrement. 

La poésie, le poème du temps, est peut-être la seule chose qui nous parle de la même manière. Pouvoir percevoir à la fois la musique écrite et le médium sonore est un don d’immédiateté qui ne peut être remplacé par rien. Le moment où un instrument est un moyen valable de représenter les mouvements de l’âme les plus fins est nécessairement présent dans l’instrument, il fait partie du message de l’instrument. Le temps devient visible à l’extérieur de l’instrument non restauré. Sa forme contient ainsi une mine d’informations qui ne demandent qu’à être comprises et lues. Ses volumes, sa volonté de beauté temporelle, reste visible même dans une ruine. L’histoire de ses blessures montre clairement comment l’histoire - comme le temps - passe sur des objets qui contiennent néanmoins de la durée. 

Il est une poésie dans l’instrument blessé, dans l’objet dessiné jadis d’une forme achevée et d’un son pur. Une poésie que je considère comme entièrement communicable et contemporaine. 

L’instrument abîmé, abandonné, est l’expression d’une structure profondément poétique de ce qui transporte quelque chose d’aussi vivant que le son autrefois retentissant dans le présent de son temps. Ma tâche est de faire comprendre que le passé est quelque chose de suffisamment essentiel en tant que tel. 

Si nous comprenons nos origines comme le présent du passé, la connaissance de l’histoire, du passage du temps et de ses traces, devient en fait l’objet le plus remarquable de notre contemplation et un moment de connaissance profonde. Je considère les instruments de musique historiques comme une opportunité d’entrer dans une profondeur de recherche sur le passé qui est unique. La seule chose qui reste pour l’écrit est la langue ; si le temps passe assez longtemps, elle peut même à la fin devient incompréhensible. Il est étonnant de voir à quel point la musique reste compréhensible lorsqu’elle est conservée sous sa forme sonore. Mais il y a plus dans un instrument de musique que le simple lieu de la création du son. Les grands instruments tels que le pianoforte, le clavecin ou l’orgue contiennent également l’histoire d’une technologie. Ces instruments sont les produits d’un artisanat, un art aux règles claires. Les principes qui régissent cet art n’ont rien perdu de leur actualité, et pas seulement grâce aux interprètes, comme autant de poètes sonores engagés dans l’histoire. Dans de nombreux cas, les règles de l’art pour leur construction sont restées les mêmes. Seul le « marché » a depuis le 19e siècle, drastiquement changé. L’instrument de production moderne obéit à des principes de fabrication, dont l’un des objectifs les plus importants réside dans la rationalisation dans un but strictement mercantile. Le but du progrès n’étant ainsi plus la recherche d’une plus grande qualité sonore. 

Au cours du 18e siècle cependant comme encore au tout début du 19e, une autre voie de rationalisation avait été empruntée. Une entreprise travaillant exclusivement avec la force humaine n’a pas forcément pour objectif le plus important de gagner du temps, mais d’économiser la force, physique. Cet objectif simple est tout à fait lisible comme l’une des règles de base les plus importantes de la fabrication d’instruments historiques prémanufacturés. Le travail effectué représente un moment de sérénité, de travail bien fait et ou la qualité a une réelle incidence sur l’avenir.La simplification de la procédure est dictée par l’effort excessif qu’exige le compliqué. Il vaut mieux en effet être très précis en un seul endroit que moyennement en plusieurs endroits. Dans les instruments du passé, et tout aussi naturellement dans ceux du présent, l’on relève des traces d’utilisation, des traces de négligences, mais aussi des traces de fabrication. Traces de condition de travail qui ne sont plus celles de notre époque. Cela signifie que l’on peut lire le travail d’un artisan dans ces traces d’activité. Dans les traces de son travail, nous retrouvons l’individu qui y a inscrit pour toujours, sa capacité à manipuler la matière.

Ces traces explicitent un processus de travail, qui peut être tout aussi immédiat que l’observation ou l’exécution d’une activité dans le présent. L’analyse des traces de travail effectué conduit ainsi à une immédiateté de reconnaissance. Un instrument comme le pianoforte considéré ici est composé de nombreuses pièces individuelles, la continuité d’une main, la signature de l’artisan peut être ainsi lisible dans chaque partie du travail effectué. 

Cependant, afin de pouvoir appréhender le déroulement des étapes successives du travail, il faut en comprendre la structure. La démarche d’un artisan n’étant jamais isolée - elle est toujours imprégnée par une autre, coutumes ou traditions qui peuvent provenir soit des expériences de son apprentissage, soit des succès ou des échecs dans la production d’autres pièces. Ainsi il devient essentiel de comprendre la structure et le processus de travail. Comme pour nous tous, comme pour tout individu, son individualité n’est qu’apparente et l’émergence de sa propre indépendance de pensée est façonnée par sa propre histoire. Cette généralité devient visible dans le travail de l’artisan en action, et plus encore chez l’artisan créateur, souvent à la pointe des tendances de son temps. 

Ceci posé, il existe la possibilité, de mettre évidence les traces apparemment perdues du passé. Les méthodes que nous utilisons s’appliquent en plus des recherches historiques, à comprendre les processus de travail d’un artisan afin de pouvoir plus clairement les évaluer. Appréhender enfin dans sa totalité l’espace entre la matière première et l’instrument fini et sonore. Ainsi outre la recherche historique en tant que telle, la méthodologie me semble être un facteur essentiel de compréhension. 

Le but de mes premiers travaux sera de tenter d’explorer cet espace entre l’idée et sa réalisation. Le point de départ demeurant non pas l’instrument tel que voulu achevé, mais la ruine qu’il en reste. Il est essentiel alors de bien comprendre l’idée d’objet initial tel que voulu et créé par le facteur d’instrument, de séparer les traces du passage du temps, de l’usure, de celles, significatives, laissées par les procédés de fabrication.

L’accent fut mis tout d’abord sur la documentation de l’état des lieux, le point de départ des réflexions étant de préserver le plus possible les informations conservées par l’instrument tel quel. 

Outre la documentation photographique, la première étape consista à examiner et analyser les restes de cordes encore présentes avec un spectromètre d’absorption atomique. Je reviendrai brièvement plus tard sur les résultats et les conclusions de cette première enquête. 

En raison de la disposition inhabituelle de la mécanique, qui, à ma connaissance à l’époque, n’avait pas d’équivalent, l’instrument semblait si précieux qu’un dessin précis de l’ensemble avait du sens. Une autre raison de recherches approfondies me semblait être les similitudes que ce pianoforte semblait avoir avec les premiers instruments d’Anton Walter conservé dans la ville natale de Mozart à Salzbourg et à Eisenstadt. Ces nombreuses similitudes permettaient, au moins de soupçonner que nous avions affaire à une découverte importante. Ici je reviens au début de mon propos : il y avait cette peur, cette inquiétude de faire quelque erreur irréversible. Il y avait aussi de nombreuses réserves qui parlaient contre toute intervention sur cet instrument hors d’été de jouer et surtout les traces de son passé. Il y avait aussi simplement le soupçon que nous avions affaire à l’un des rares instruments de l’époque de Mozart, qui n’a subi que relativement peu de modifications de sa substance d’origine, et qu’en outre par exemple notre expérience que des traces de rouille offrent une possibilité d’être analysées en utilisant un spectromètre a absorption pour acquérir des connaissances inaccessibles il y a à peine quelques années. Il y avait simplement la question de savoir quelles traces une restauration pourrait détruire, dont la possibilité d’analyse nous serait encore inconcevable aujourd’hui. Mais il y avait aussi le fait évoqué au début, que seul le traitement actif et global de l’historique d’un instrument permet un aperçu général, et l’acquisition de nouvelles connaissances. 

Nous nous sommes tout d’abord consacrés aux relevés préparatoires à des dessins techniques de l’instrument, dont la précision devrait nous permettre d’apprécier la substance de l’instrument sous tous ses angles. Comme nous avions déjà l’expérience de plusieurs relevés, nous avons pu essayer réaliser des plans avec une tolérance de 0,3 mm. Ces dessins, qui sont disponibles, montrent toutes les distorsions de l’état dans lequel l’instrument nous est parvenu. Le relevé précis des multitudes de déformations du bois a rendu ce travail particulièrement long et minutieux. À ce stade, je tiens à remercier mes employés pour leur patience, de même que celle du propriétaire de l’instrument à l’époque. Ces dessins concernaient l’extérieur de l’instrument et la mécanique. En raison des effets de l’humidité et de dégâts dus à des rongeurs, certaines parties de la construction, comme le sommier et la table d’harmonie ont été partiellement détachés. La table d’harmonie était principalement décollée sur l’espace au-dessus du clavier et dans les aigus. Le long du cadre arrière, la table d’harmonie n’était plus réunie au corps en raison d’une fente continue. Afin de pouvoir montrer l’instrument dans sa structure interne et de le rendre accessible à la recherche, il a été décidé de séparer la table d’harmonie du corps de l’instrument. 

Les premières tentatives de desserrage des pointes d’accroche, en commençant dans la zone des graves, ont échoué. Le résultat fut deux pointes sectionnées, car n’ayant pu résister à la traction. Ceci confirmait mes craintes, le danger de détruire des indices précieux. J’ai cependant été persuadé de continuer et je l’ai fait. Étant donné que les méthodes utilisées pour extraire les pointes d’accroche n’avaient pas abouti, j’ai en essayé une nouvelle qui m’était venue à l’esprit. 

Mais, comme c’est souvent le cas lorsque l’on croit avoir découvert quelque chose, j’ai appris plus tard que cette méthode avait longtemps été utilisée dans d’autres ateliers. J’ai chauffé les pointes à environ 160 degrés à l’aide d’une tige chauffante réglable. La tige était maintenue sur la pointe pendant environ 3 minutes et, une fois celle-ci refroidie, l’extraction s’effectuait sans peine. Bien entendu, des tests préalables sur des clous de résistance similaire dans du bois de hêtre neuf ont confirmé l’hypothèse que le bois ne subit aucun dommage notable à cette température. La barre recevant les pointes d’accroche a ensuite été décollée à la vapeur et de l’alcool à 98°. Nous avons fait de même avec la table d’harmonie, qui pouvait être retirée sans dommage même aux endroits qui étaient, pour ainsi dire, dévorés par le ver. 

L’intérieur du pianoforte pouvait maintenant être mesuré. Un détail était remarquable : la table d’harmonie ne correspondait apparemment plus à son état d’origine. Déjà lors des travaux de retrait de la barre d’accroche, des traces d’un arrachage brutal, caché jusque là, sont devenues visibles. À cette barre, visiblement abîmé par cet arrachement au niveau de la queue du piano, il manquait des éclats, que nous n’avons pas pu retrouver sur la partie que nous avions décollée. 

Il était maintenant également clair que le petit morceau de table d’harmonie que nous avions trouvé sous le sommier et qui avait déjà été détaché par l’humidité appartenait apparemment à la table d’harmonie d’origine. La table n’étant plus attachée à sa surface de support d’origine dans les aigus, comme cela est devenu évident après qu’elle ait été complètement retirée, car les chevilles du sommier n’avaient apparemment pas été retirées lors de cette intervention plus ancienne. Ce support inaccessible a ensuite été remplacé par une pièce de liaison en bois dur (probablement en poirier). Telle était donc l’état relevé par les premiers dessins. 

Comme nous voulions clarifier la question de savoir quand cette opération, qui a apparemment fortement modifié le pianoforte, avait eu lieu, nous avons analysé les résidus de colle qui provenaient clairement de cette modification et ceux qui provenaient des travaux originaux précédents. Ceci étant basé sur le fait que les os d’animaux, à partir desquels la colle a été fabriquée, doivent avoir des impuretés caractéristiques. Cependant pour autant que l’on puisse en juger, les résultats indiquent les mêmes impuretés. À titre de réserve, il faut dire cependant que même si on détecte les mêmes impuretés, aucune affirmation n’est possible en raison de l’absence d’un moyen qui pourrait prouver que l’on n’a pas affaire au même atelier pour les modifications. 

Pour rester sur ce fait pertinent, il y a encore quelques indices qui nous font réfléchir. Il y a un contreventement à l’intérieur du piano à queue, dont la position semble correspondre à celle présente dans un piano de Mozart. Il est intéressant de noter que cette pièce a été retravaillée. Au point où cette dernière touche le cadre longitudinal de la paroi arrière de l’instrument, il y a une trace de colle qui indique clairement que ce contreventement était à l’origine plus haut, au niveau du support de table d’harmonie du cadre arrière. Après le retrait de la table d’harmonie à l’époque, ce contreventement a été abaissé aussi bas qu’il l’est aujourd’hui. Dans la zone jusqu’au barrage, il a été repris au rabot, le reste a été enlevé avec un ciseau. 

En raison de cette situation, il me semble possible que le piano ait eu un contreventement qui a été retiré plus tard et a donc reçu une nouvelle table d’harmonie ou que celle-ci ait été modifiée. Les pointes d’accrochage n’ont laissé aucun deuxième trou dans le support de la table d’harmonie, ce qui n’est techniquement possible que si celle-ci est réutilisée. Comme le chevalet peut aussi être compris comme étant d’origine, et parce que la mécanique de l’instrument a été évidemment conservée, il me semble possible dans ce contexte que l’intervention ait été faite par le constructeur lui-même. Ou du moins, que l’intervention ait pu avoir lieu dans une période suivant de près le moment de la construction. Rétrospectivement, il ressort clairement à la vue de l’unité stylistique de l’instrument que cette intervention a manifestement été réalisée par une main de maître. Ceci est indiqué, entre autres, par l’exécution techniquement parfaite du barrage, dont les emplacements inhabituels feront l’objet d’une étude à part. Puisqu’il s’agit d’une question à traiter plus en détail plus tard, j’aimerais m’éloigner de l’étude du corps pour aborder celle de la mécanique. 

Les mécaniques dans le raffinement de leur système ne furent en réalité accessibles que lors des relevés. La première impression avec les fourches en bois semble indiquer une forme archaïque de la mécanique du pianoforte, du moins il semble peu probable qu’après l’invention des fourches viennoises, quelqu’un ait utilisé cette forme complexe de fixation d’axe des marteaux. Les fourches sont chacune constituées d’une seule pièce, séparées par deux coupes de scie en deux mâchoires de guidage pour le manche du marteau. L’axe de manche du marteau est inséré dans un cuir enserré dans une rainure. Au-dessus, le cuir et l’axe du marteau sont chacun fermés par une petite cheville en bois. La capsule du marteau est immobile, fermement collée à l’extrémité de la clé, sans aucune possibilité de réglage à cet endroit. 

Le manche du marteau présente sous son axe, une sorte de renflement bulbeux qui s’achève en bec. Sur celui-ci est fixée une fine planchette qui élargit sa surface. Ce bec est recouvert de cuir, mais reste mobile dans sa position. Ce système diffère notablement des deux instruments présumés similaires, le piano de Mozart de Salzbourg et celui d’Eisenstadt. 

Le clavier, en particulier les façades de touches, les mâchoires de guidage des broches de bascule et le guidage des touches à leur extrémité, correspond en termes de découvertes externes au pianoforte de Mozart. Les trous de passage des cordons de fixation, qui retient la garniture de la barre de repos des marteaux correspondent même à celle de la mécanique du piano de Mozart. L’étendue des octaves et pour autant que l’on puisse le déterminer, la longueur des touches, coïncide largement avec les deux autres pianoforte. L’échappement cependant diffère de celle des deux autres instruments. 

Il s’agit d’une mécanique à échappement mobile. Sa particularité réside dans le fait que d’une part les détentes sont pourvues d’un fin évidemment triangulaire sur lequel le cuir du déclencheur est fixé, d’autre part il y a une particularité dans les petits crochets qui sont vissés dans chaque détente avec un fil d’horloger. Ces crochets sont pris dans une bande de tissu qui est fixée dans une partie spéciale du mécanisme de détente. Les crochets permettent de régler la hauteur de la tête de marteau de manière simple le du vissage ou le dévissage modifiant l’inclinaison de la détente. Lorsque la touche est relâchée, le « ventre » du manche de marteau retombe sur la bande de tissu de la barre de contre-pression située dessous, comme cela se produit lors de répétitions rapides, et agit en fait comme une attrape. Tout cela nous est apparu si merveilleusement simple dans sa conception que cette solution ne pouvait être que le fait d’un maître extrêmement doué doté d’une grande expérience des problèmes de mécanique. Avec tous les autres indices, il me semble évidemment concevable qu’Anton Walter soit le constructeur de ce pianoforte. Ou tout du moins que, je ne peux envisager personne d’autre qui a cette époque, semble capable d’une telle construction. Telle était ma conviction lors du début des travaux que je vais vous décrire. 

Jusqu’à présent, j’ai essayé de vous donner une idée de ce qui m’a motivé dans ce travail, quelles pistes de réflexion m’amenèrent à un certain plan d’action général ! D’une part, le respect inconditionnel de ce que représente l’histoire, d’autre part l’espoir, à travers la perception concrète de ce passé, de pénétrer dans l’immédiateté de la compréhension d’un autre temps. 

C’est une grande exigence et je ne pense pas que cela puisse réellement et toujours réussir. Mais je suis d’avis que plus on s’en rapproche, plus il est possible de séparer mieux la chronologie des évènements. Parce que tout est mêlé dans un objet aussi sensible qu’un instrument de musique, cela m’a semblé la procédure la plus appropriée et la plus simple, à condition de la suivre sans compromis. 

Ainsi sans toucher davantage à l’instrument d’origine, nous avons décidé d’en reconstruire un pas à pas en utilisant les moyens connus à l’époque du facteur. Cela signifie que là où nous avons trouvé la trace du rabot à main, nous avons travaillé avec le rabot à main, où la trace d’une scie était reconnaissable, nous avons pris la scie dont les dents se rapprochaient le plus de la trace trouvée, où nous avons reconnu l’utilisation d’un ciseau a bois, nous l’avons utilisé et nous avons donc essayé ainsi de répéter les techniques et les procédures que l’on utilisait alors il y a environ 200 ans.

Je n’avais pas l’intention de scier et de raboter toutes les pièces à la main pour des considérations de résultat acoustiques. Je m’intéressais aux compétences que le créateur de cet instrument devait maîtriser pour atteindre un niveau de créativité libre qui lui permettrait de mettre en œuvre de nouvelles idées dans cet instrument sans constamment atteindre les limites du faisable. J’ai fait une tâche personelle de recherches, plus que pour tout autre instrument, d’explorer ce degré de liberté dans la création d’un son, par l’intermédiaire d’une structure technique. 

Franchement, je trouve aussi l’expérience de créer un instrument avec la force de votre propre corps fascinant, de la coupe des planches, au rabotage à l’épaisseur, à l’instrument fini. Tout comme les artisans des siècles passés l’ont fait, parce qu’ils ne pouvaient rien faire d’autre, parce qu’il n’y avait pas de machines. Comme je l’ai dit, il y avait une chose - et cela ne devient clair que lorsque les méthodes les plus ardues du travail manuel sont suivies - il y a toujours eu la pensée de la rationalisation. Pas nécessairement pour gagner du temps, mais pour économiser de l’énergie. 

Alors, comment les 61 fourches de marteau ont-elles été fabriquées de manière à ne pas devenir une œuvre s’étendant à l’infini ? Comment une qualité constante de la mécanique est-elle obtenue, avec tous les défauts que même le travail le plus parfait comporte ? Surtout, et cela devient encore plus significatif, lorsque le travail est effectué par une personne qui exige en fait une grande variété de talents. Premièrement, pour commencer, il y avait les fourches de marteau. En fait simple - et pourtant ingénieux dans le système. Il est évident qu’ils ont été découpés dans un bloc préalablement formé ; le fait qu’ils n’ont été découpés qu’après la finition des touches peut être vu à partir de leurs différentes épaisseurs. Comme déjà mentionné, les fourches de marteau elles-mêmes sont constituées chacune d’une seule pièce d’épicéa à grain relativement fin, de largeur correspondant approximativement à la touche, séparées par deux découpes de scie à dents fines, de sorte qu’un profil en forme de U est créé. L’extrémité supérieure des deux mors de guidage de manche de marteau ainsi créés est pourvue d’une rainure qui est arrondie en bas et accueille le cuir utilisé comme palier d’axe de marteau. Le palier de cet axe est fermé sur le dessus par le cuir tiré sur l’axe et la fine cheville susmentionnée. L’espace en forme de U pour le manche du marteau est à proximité du marteau dans la zone de l’axe, il ne laisse donc que très peu de jeu, le bas de la découpe est découpé au ciseaux de sorte que « ventre » de marteau a un jeu exact. Lors de la fabrication des 61 fourches de marteau, il est à noter que le système a été choisi de manière à ce que le processus de fabrication puisse être facilement maîtrisé et réalisé avec une précision suffisante. La fabrication de l’ensemble des fourches de marteau n’a nécessité que deux jours après la découverte de la méthode adéquate, ce qui, à mon avis, était un délai acceptable a l’époque. 

Les manches de marteau sont taillés dans des blocs dans un processus similaire, les différents blocs se distinguent par une forme légèrement différente du « ventre » de bec. Ces différences n’affectent que cette partie, la distance entre l’alésage de l’axe et l’extrémité du ventre restant la même pour tous les manches. Ceux-ci sont soigneusement rabotés sur leurs côtés et deviennent presque complètement ronds vers la tête du marteau. Ce travail est réalisé avec une précision étonnante, mais montre les écarts typiques d’une telle opération répétitive. Les manches de marteau diminuent à peine en épaisseur entre les basses et les aigus. Dans leur reproduction, nous avons donc prévu de les raboter en forme à l’aide d’un guide construit spécialement. Les extrémités arrondies des manches étant beaucoup plus fines vers les aigus, nous en avons déduit qu’elles participent à l’intonation de l’instrument. 

Les becs des manches de marteau sont munis de petites des plaquettes montées très précisément dans une rainure du manche. Cette dernière étant apparemment déjà sciée lors de la fabrication des blocs pour les manches du marteau. Ce trait de scie indique l’utilisation dans cet atelier d’un outil à la denture exceptionnellement fine, fonctionnant probablement à la traction. La plaquette insérée dans la rainure est en érable, tandis que le manche du marteau est en poirier. Le cuir est collé sur le dessus de la plaquette le côté lisse sur le dessus et recouvre en partie le bec. La plaquette reste cependant mobile dans sa rainure afin de pouvoir l’aligner au mieux avec l’échappement. La production des manches de marteau a pris, après un peu d’entraînement, environ quatre jours. La réalisation précise de l’arrondi du manche nécessitant un peu de pratique. 

Je peux supposer que la fabrication du clavier est connue dans ses gandes lignes, car les méthodes utilisées pour la fabrication d’instruments historiques, sont encore couramment utilisées aujourd’hui. Il est à noter cependant que les touches « d » sont plus larges, que l’épicéa est à grain fin, de droit fil debout et que la plupart des traces de scie ont été supprimées. Les traces de coupe restante indiquent l’utilisation d’une scie dite à chantourner, comme le montre le volume Menuisier de « l’encyclopédie » par Roubeau. Soit dit en passant, cet ouvrage montre également une scie à dents très fines fonctionnant à la traction, qui pourrait correspondre à celle utilisée sur les manches de marteau. 

Je voudrais entrer brièvement à présent dans la description des mortaises de pointe de balancier, qui sont exactement les mêmes sur le piano de Mozart. Ils sont constitués d’une bande de la largeur moyenne des touches qui a été découpée en petits blocs rectangulaires. Les traits de scie à l’extrémité du cerveau sont toujours effacés, l’évidement de la pointe de guidage de touche est réalisé avec deux traits de scie et le perçage avec un ciseau à mortaise ou un ciseau d’épaisseur appropriée. Les parties restantes sont dégagées avec un large ciseau, ce qui crée, vu de l’arrière, une forme en V caractéristique. Ce travail, qui ne concerne qu’une petite pièce anodine, est, comme toutes les autres parties, réalisé d’une manière étonnamment soignée, cependant aisément reproductible après un peu de pratique. Les bords sont généreusement chanfreinés et il faut mentionner une particularité du cadre du clavier qui me semble importante. Le balancier, qui repose sur un support en épicéa, mais est lui-même en chêne, est interrompu en trois endroits par une découpe à la scie, obstruée par un coin étroit. La coupe ne traverse passe pas la barre de balancier, mais sépare uniquement les fibres de bois de sa partie supérieure. Le résultat est que la barre de balancier ne peut ainsi se déformer. Un détail qui peut être considéré comme une simple mesure préventive, mais dont l’application semble parler pour un artisan expérimenté. 

Les mortaises de guidage de l’arrière des touches sont incorporées dans le cadre du clavier. Ils sont en noyer, recouverts de cuir à l’intérieur et finis sur le dessus avec la garniture d’attrape des « ventres » de manche de marteaux mentionnée précédemment. Comme un grand nombre de coupes précises sont nécessaires, dont l’angle détermine la chute en douceur des touches, le constructeur a dû, à ce stade, penser à une simplification de la procédure. Il est important, de couper si possible d’un seul trait, l’angle préalablement déterminé du clavier. Puisqu’il convient d’utiliser un gabarit de sciage qui se place simplement sur la partie arrière du cadre, il est facile de ne pas faire deux coupes rapprochées. L’épaisseur des diviseurs est déterminée par leurs dimensions finales, qu’elles atteignent lorsqu’elles sont recouvertes de cuir. Pour que la scie coupe uniformément, il est plus simple d’utiliser une lame particulièrement large. Une scie à rainurer par exemple encore utilisée aujourd’hui dans de nombreuses menuiseries. Cette scie permet découpes très précise et les traces qu’elles laissent sont les mêmes que celle que l’on peut observer à ce stade sur l’instrument d’origine. Avec cette scie, les coupes peuvent être effectuées sans effort en un temps raisonnable et avec la précision requise. Le travail à ce stade du cadre de clavier reste cependant délicat, car le bois étant de fil les parties sciées peuvent être arraché à tout moment. Cela ne semble cependant pas être arrivé à notre prédécesseur. 

Il serait maintenant intéressant de parler des échappements, car ici un problème similaire se pose avec les cloisons guidant les échappements dont la doit être assurée de manière cohérente en elle-même. Les échappements sont en effet eux aussi guidés par les mortaises du guide de touche en épicéa les cloisons étant en noyer. Les cloisons sont cependant considérablement plus larges pour les échappements, afin que ces derniers puissent avoir la même largeur que les extrémités des touches. Les différences portent sur l’épaisseur des cuirs de garnissage et la largeur des traits scie. Comme il n’est pas facile de faire deux coupes parallèles avec une scie large, s’en est une beaucoup plus fine, peut-être celle déjà utilisée pour les rayures de plaquette sur les becs, qui aura été utilisée. 

Le coupes sont a angle droit, ce qui facilite le travail, cependant, celles-ci ne peuvent être effectuées avec une scie à onglets, car les cloisons a inséré ont un pied en forme de L. deux traits de scie sont donc nécessaire finies ensuite avec un burin à mortaise ou un ciseau fin. L’espace entre les coups de scie est libéré et nettoyé en même temps. Le résultat est un travail qui se démarque du précédent avec une apparence très nette. Cependant, la précision obtenue est en fait plus grande avec la méthode précédemment utilisée pour les guides de touche. 

Ces explications sur l’ingénierie des procédés ne sont possibles que parce que nous avons essayé de reproduire nous même au plus juste chaque étape de la construction fac-similé de façon à vérifier que les traces de notre travail et celles trouvées correspondent. Un certain nombre de tentatives ont produit le résultat final souhaité, mais pas les mêmes traces de travail en elles-mêmes. Pour revenir à la mécanique : les échappements eux-mêmes sont également en épicéa, et ils sont à nouveau fabriqués en blocs. Cela peut être observé sur l’original à travers une série d’écarts typiques. La fabrication de l’échappement pose une difficulté majeure du fait de l’évidemment triangulaire de sa tête en forme de crochet. Cet évidement est délicat, car le bord inférieur ne doit pas être endommagé et le travail doit être effectué dans le sens du fil. Cette difficulté me paraît importante, car cette difficulté supplémentaire ne peut être justifiée que par un résultat probant. 

Durant le travail sur ces échappements, les avantages de leur conception ne m’étaient pas tout à fait clairs, en particulier le cuir de garniture étiré sur les têtes d’échappement, puis collé sur la section de tête la plus épaisse restante et sur le dessous de la tête. Ce n’est que plus tard dans leur fonctionnement que l’avantage devient visible ou audible, le large bec glisse parfaitement le long de la tête de détente. Avec le «  ventre » du manche de marteau déjà mentionné reposant sur la barre de repos la réduction de rebond obtenue pendant le jeu est largement suffisante.

Quelques mots de plus sur le garnissage en cuir. Le cuir de l’ensemble du mécanisme est en vachette ou en veau, y compris les garnitures de tête de marteau. Le traitement du cuir est uniformément propre et me semble provenir de la même main. Le cuir des paliers d’échappement est collé à des deux côtés et aminci à l’extrémité. Autant que je sache, ce n’est pas toujours le cas avec ce type d’attache. Cet amincissement des cuirs a été réalisé dans presque toutes les patries en cuir de la mécanique. Le deuxième cuir de tête de marteau, situé sous le cuir supérieur, est également aminci. Lors de la retouche de l’instrument, ce soin, apporté à chaque détail, a été remarqué à maintes reprises, ceci était également visible sur les rares restes des garnissages en feutre. Ces vestiges pourraient servir de point de départ à un tisserand à la main pour en reproduire la trame. Nous avons maintenant huit mètres de chacun des différents garnissages. 

La mécanique comprend également les étouffoirs. Ceux-ci ont été entièrement perdus sur cet instrument. Seul le râteau de guidage a été conservé. D’après les photos que j’avais à l’époque de la collection de M. Wittmayer (Wolfratshausen), il était clair que le râteau de guidage des étouffoirs du Walter d’Eisenstadt était parfaitement identique au nôtre. Quand je parle de « parfait » ici, c’est parce que le type d’évidements biseautés guidant les étouffoirs et la technologie avec laquelle les cuirs y sont fixés correspondent exactement. Sur les photographies, même le type de cuir semblait être semblable. Dans tous les cas, les étouffoirs qui étaient autrefois présents pourraient être identifiés comme des étouffoirs dits « en botte » comme l’indique le dispositif de guidage. En comparaison avec le pianoforte de Mozart, il convient également de noter que notre instrument a des ouvertures au même endroit que ce dernier, permettant au moyen d’un levier de relever les étouffoirs. Les leviers de genoux en place sont cependant d’une date ultérieure. 

Je voudrais ici, conclure mes remarques sur la mécanique. La mécanique d’origine était encore intacte à ce stade. Mes conclusions implicites se réfèrent uniquement à ce qui était observable jusque-là dans l’original et aux expériences qui ont rendu la reconstruction possible. Ce travail a duré environ 1 mois et demi si l’on soustrait le temps nécessaire pour développer les différentes méthodes. Travailler sur ces mécanismes fut un exercice d’ingénierie des procédés et de construction artisanale, base de la facture instrumentale. L’idée me préoccupait de savoir ce que cela signifiait que quelqu’un, comme je le soupçonnais alors, a pu trouver des solutions aussi originales et si géniales aux problèmes a résoudre si peu de temps après l’invention du réglage de hauteur de fourche par Stein. 

Ce qui m’a le plus impressionné, c’est cette solution adoptée pour le réglage de l’échappement. Il était maintenant intéressant de savoir si la maîtrise artisanale et le raffinement des solutions techniques adoptées pouvaient également être observés sur le corps de l’instrument. 

Le corps de l’instrument 

Il y a une cohérence parfaite dans la conception du pianoforte, que l’on retrouve dans le sommier recevant les chevilles qui est en hêtre, c’est-à-dire en bois dur, de même que dans la section transversale conique du corps de l’instrument en épicéa. Cette partie m’a donné particulièrement à réfléchir pour sa fabrication, j’ai constaté qu’elle nécessite une très grande habileté dans la manipulation de la varlope. Il n’est pas évident de concevoir cette superposition de couches collées dans une courbe souhaitée de telle sorte qu’il n’y ait pas de diminution d’épaisseur lors du rabotage. Dans tous les cas, la similitude dans l’épaisseur du bois a été respectée et les quatre joints s’adaptent parfaitement. En tout cas, j’ai trouvé que ce travail était l’un des plus difficiles, plus que la mécanique qui avait déjà été reconstruite. La surface de collage pour l’éclisse courbe est rabotée à un angle droit exact, l’intérieur est soigneusement usiné, apparemment par rabotage. Ce n’est que là où la largeur du bois était insuffisante en raison de la taille des planches que des traces d’écorce subsistaient à l’intérieur. Il est à noter que les nœuds n’ont posé aucun problème et avec un outil soigneusement affûté la coupe est parfaitement propre. 

Un savoir-faire considérable a été requis lors du montage des entretoises. Dans l’original, elles sont encastrées dans les encoches biseautées. Si la position et la précision d’ajustement de l’original sont recherchées pour la copie fac-similé, il n’y a aucune marge de manœuvre. La difficulté étant qu’un marquage de l’évidement à ciseler n’est guère possible en raison de la situation inclinée et courbée. Ici, il m’est apparu une fois de plus que ces solutions n’ont pu être adoptées que s’il y a eût un concept global cohérent, ou une idée précise relative à la statique, derrière ce système. À propos du barrage, de la table d’harmonie, du clavier et d’autres détails, je voudrais juste dire qu’ils sont tous d’excellente facture avec des jeux adéquats, dont la reconstruction n’a pas révélé de problèmes particuliers. Le sommier est constitué d’un seul morceau de chêne, tout comme la barre de renfort, de sorte que lorsque la barre de renfort a été démontée, nous avons constaté que son côté en contact avec le sommier était doublé d’une planchette de sapin de 1 cm d’épaisseur. Le corps de résonance, et les éclisses sont plaqués en merisier, le gousset des aigus, let l’éclisse incurvée étant en merisier massif. L’éclisse du fond est en épicéa et plaqué en merisier uniquement à l’intérieur, l’épicéa restant visible sur la tranche. Tous ces éléments sont assemblés par collés entre eux, une fixation avec des clous en bois n’étant pratiqué que sur l’éclisse arrière. Le gousset des aigus et l’éclisse courbe sont sécurisés contre le gauchissement par des évidements en forme de V, le gousset des basses et l’éclisse courbe sont en outre collés à l’intérieur, le gousset des basses et la paroi arrière sont reliés par des broches semi-dissimulées. Le couvercle est en merisier massif, divisé en trois parties, les cadres et les panneaux sont assemblés a tenon et mortaise, et collés. Les garnitures sont en laiton et le dessin de la façade correspond à celles du pianoforte de Mozart.

À un certain moment de ces activités de reconstruction en fac-similé, la situation de l’original put être réévaluée. Comme je l’ai dit avec un peu de désinvolture au début de ce propos, nous avions cette volonté de ne rien faire de mal. Au début, j’étais en fait d’avis que la restauration de l’original était une tâche trop lourde, mais cette constatation a changé au cours de la reconstruction. J’avais le sentiment d’avoir appris moi-même beaucoup du modèle. 

J’avais maintenant compris une partie de sa logique de construction et le contexte de la reconstruction en fac-similé me paraissait évaluable. Un examen plus attentif des dommages réellement existants, toujours maintenant en comparaison avec les mêmes conditions de la copie, a finalement conduit à juger les dommages subits par l’instrument original comme non substantiel. Les chevilles, le corps et la mécanique avaient subi les attaques du temps, principalement de l’humidité et des rongeurs, mais les principaux joints de colle et la résistance du bois n’avaient guère été altérés. Alors, quels dégâts avions-nous réellement ? 


Ce qui suit est un résumé de l’état des lieux : 

Le sommier s’était détaché de ses supports des deux côtés, un peu plus dans la zone des graves à gauche que dans les aigus. Les placages du sommier sur le côté des chevilles étaient très ondulées, à l’exception de quatre chevilles qui bien que rouillés, étaient présentes. Dans la zone des basses du sommier, des fissures ont pu être constatées sous le placage, dont certaines sont redevenues visibles sur la face inférieure. Les supports en hêtre du sommier s’étaient quelque peu détachés de leurs bases en épicéa. Le barrage était détaché du sous-plancher, le sous-plancher présentait une fissure continue dans les aigus. La chambre de résonance n’était en fait qu’empoussiérée sur toutes ses parties et les jambages en bois pouvaient encore remplir leur fonction technique d’absorber la tension des cordes malgré les joints ouverts. J’ai supposé que les assemblages aux zones sollicitées se refermeraient d’eux-mêmes lorsque les cordes seraient tendues. L’extérieur du piano-forte était lui plus endommagé. L’éclisse dans les aigus était très déformée et présentait une fissure longitudinale naissante. 

Le pont principal de table du côté des aigus était complètement décollé par l’humidité (ce qui en soi n’était pas un inconvénient pour la suite des travaux). En général, tous les joints qui ont été affectés par l’humidité avaient été rouverts, comme ceux de la table d’harmonie au-dessus de l’espace du clavier, ou l’humidité avait également provoqué la fissure le long du cadre longitudinal. La table d’harmonie était très sale, une grande tache sombre semble avoir été causée par des années d’exposition à l’urine de souris. En général, les souris avaient rempli environ un tiers de l’espace du clavier et l’intérieur du pianoforte avec des nids, qui se composaient de paille, de bouts de papier et d’autres déchets non spécifiés. Les bouts de papier ont été complètement déchiquetés, mais ont quand même conduit à la conclusion qu’il s’agissait de vieux journaux (écriture Fraktur). Les souris étaient entrées et sorties de l’intérieur du piano par le trou du barrage, les traces de leurs pattes sont encore visibles aujourd’hui. Plusieurs fois, elles ont essayé de ronger la table d’harmonie et les barres, comme les dommages à ces parties le révèlent. Enfin, deux squelettes de souris complètement préservés ont été trouvés à l’intérieur.

La table d’harmonie était à également endommager. Trois chevilles métalliques enfoncées à travers la table et le plancher de soubassement étaient apparemment destinées à redresse la table d’harmonie déformée par les cordes. Les broches métalliques en partie filetées étaient fixées dans le soubassement par leurs extrémités repliées, la partie faisant saillie dans la table d’harmonie était pourvue d’une rondelle censée tirer celle-ci vers le bas. Cette construction ne pouvait cependant pas remplir pleinement sa fonction, car les broches ainsi que leurs rondelles dépassaient la hauteur du chevalet.

Il semble qu’il s’agisse d’une tentative de restauration qui n’a pas été poursuivie, peut-être avant que l’instrument ne soit stocké. En tout cas, les broches en question étaient très rouillées. Peut-être que la fixation moins soigneuse des leviers de pédalier appartient également à cette période. Les chevilles, pour les mentionner, étaient fortement rouillées et environ 80 % des cordes étaient encore présentes, coupées au niveau des chevilles. Les analyses au spectromètre à absorption atomique ont révélé divers composants dans le métal, ce qui suggère un alliage ferreux pour ainsi dire. L’interprétation de ces résultats est difficile, car je n’ai pas eu suffisamment d’études comparables à ce jour. De l’avis des métallurgistes interrogés, l’interprétation suivante semble possible : si le matériau des cordes est d’origine, les éléments qui le constituent peuvent être compris comme des impuretés typiques d’un gisement de minerai particulier. Cela signifierait qu’avec la technologie de fusion encore courante au 18e siècle, les températures n’étaient pas suffisantes pour faire fondre entièrement le minerai pur. Cela implique qu’il faudrait étudier le matériau de ces cordes, ce qui, du moins pour nous aujourd’hui, est difficile à évaluer en termes de résultat d’expertise acoustique. Il est cependant concevable qu’à l’époque les artisans de la métallurgie aient eu des critères d’évaluation. Seulement brièvement parce que, comme mentionnés, nous avons été les premiers à commencer ce travail.

Rapport de restauration : 

Les travaux de restauration du pianoforte ont finalement commencé avec le retrait décrit de la table d’harmonie. En raison de l’ondulation et du décollage partiel des placages du sommier, es détails de fixation de ce dernier était accessible. La reconstitution de ces derniers dans la copie fac-similé a permis d’appréhender ce décollage de sommier comme une avanie moins grave qu’il n’y paraissait. Les placages entourant le sommier ont été décollés selon la méthode décrite (vapeur, alcool, chaleur) jusqu’à ce que les chevilles en bois qui le fixaient soient accessibles. Du côté des basses, les chevilles ont été démontées, les chevilles en bois ont été percées afin que le sommier puisse être desserré sans autre dommage. Il était en effet nécessaire de réparer les fissures dans la zone des basses. Étant donné que les fissures ne traversaient que partiellement le sommier, j’ai décidé de ne sécuriser ce dernier que dans la partie touchée à l’aide d’un renfort encastré. Une scie à rainurer a été utilisée pour la découpe et l’enlèvement des copeaux effectué au rabot. Cette méthode avait l’avantage que le résultat du travail restait visible. Le dessous du sommier fut consolidé par trois broches insérées. Une mesure purement préventive que j’estimais nécessaire pour éviter que les fissures ne progressent davantage. Les placages ont été aplanis et les parties encore présentes, recollées. Dans ce travail, comme dans le suivant, l’accent a été mis sur le fait de laisser les réparations visibles. Aucun ajout n’a été fait ici. Ce fut l’intervention principale sur le corps de l’instrument, le sommier a ensuite été recollé à son support, les chevilles de bois fidèlement reproduites à l’original.

La table d’harmonie fut ensuite l’objectif suivant. Une longue fracture sur la partie arrière a déjà été mentionnée, d’autres se trouvaient dans les aigus ainsi que des dommages causés par les vers sous l’emplacement des broches d’accrochage des cordes.

Les zones vermoulues ont été soigneusement enlevées au rabot, de sorte qu’une large rainure a été créée qui ne contenait plus environ que 0,4 mm de substance originale sur le dessus de la table d’harmonie. La rainure fut comblée de bois d’épicéa avec un grain similaire, collée à la colle de peau. Les fractures dans les aigus et sur la paroi du fond ne permettaient pas de rejointage (défauts, marques de souris). Afin de pouvoir remplir les espaces laissés par les fractures irrégulières, j’ai décidé de joindre un côté à la fois, d’y assurer un flipot, de nettoyer le côté opposé, et de rejointoyer l’ensemble, de manière conservatrice. L’objectif était de restaurer la résistance de la table grâce à ces flipots et de permettre une transmission sonore ininterrompue. Les ajouts ont été faits exclusivement avec du bois d’épicéa du même type et aussi similaire que possible pour leur grain. Il est à noter bien sûr que ce travail ne pouvait être commencé qu’après le nettoyage de la table d’harmonie et le retrait du barrage et du chevalet. 



Le barrage :

Le barrage est un chapitre en soi, dont l’interprétation est encore en cours. Juste une brève description de ce qui a été trouvé. Les barres en épicéa, découpées sous le chevalet et très soigneusement travaillées. Des évidements sont visibles sur les supports de table d’harmonie, qui représentent un trajet différent des barres. Ceci et les traces de ce que nous aurons à interpréter sur la partition de la table indiquent une intervention importante. Si vous comparez également les traces de sommier avec les restes de la table d’harmonie en dessous et les supports de table d’harmonie réalisés à ce stade, les modifications effectuées sur la table d’harmonie deviennent clairs. L’examen des résidus de colle a révélé pratiquement le même type de provenance, ce qui au moins ne réfute pas la conclusion qu’il s’agit du même atelier, mais le moment où l’intervention a eu lieu ne peut être clarifié avec certitude. Mon interprétation personnelle est basée uniquement sur le style que représente la méthode de travail. J’ai donc tendance à penser que le pont principal a été retiré dans l’atelier du constructeur afin d’examiner l’effet de la table d’harmonie oscillant librement sur cet instrument. Cela pourrait signifier que ce piano a formé une sorte de prototype pour des expériences tant avec sa mécanique, qu’avec les propriétés sonores de différents types de tables d’harmonie. Il est bien sûr également possible que la tentative de modernisation du piano avec des leviers à bascule et la modification de la table d’harmonie soient liées. La seule chose qui parle pour moi, c’est la qualité différente du travail sur la table d’harmonie et les leviers de pédales. Il est étonnant alors que le mécanisme ne soit pas touché, que la barre d’accroche soit à nouveau utilisée et que le chevalet, qui donne une impression de travail très précoce, ait également été réutilisé. Bien que cela ne me permette que des spéculations, je tenais à le souligner.

À propos du barrage : Celui-ci a été principalement endommagé à ses extrémités par des marques de rongeurs. Ces extrémités ont été restaurées par des ajouts. Les fractures ont été également consolidées. Enfin les barres recollées dans leur position d’origine.Le chevalet de la table d’harmonie a été intérieurement endommagé à par des dommages de ver à peine visibles, ces parties ont été soigneusement enlevées et la mortaise en résultant doublée d’un hêtre similaire. Le chevalet de la table d’harmonie devra également être recollé dans sa position d’origine. Aucun autre travail supplémentaire n’a été effectué. Lors de la reconstruction fac-similé parallèle, il a été possible de constater que la substance originale pouvait résister à la tension des cordes sans autre renfort. La barre d’accroche a été réutilisée, tout comme les goupilles de fixation d’origine. Les broches du chevalet sont celles d’origine sur la table d’harmonie et le chevalet. L’extérieur de l’instrument n’a pas été traité, les défauts, ouvertures et autres dommages n’affectant pas la statique n’ont pas été corrigés, seule l’éclisse des aigus a été recollée dans sa position d’origine, la fracture réparée était maintenant entièrement visible. 

La restauration du pianoforte n’est pas encore terminée. Le couvercle de l’instrument est toujours manquant, et la tension des cordes montre que la table d’harmonie dans les aigus n’a pu résister à la pression des cordes qu’après qu’une bande de parchemin a été placée dessous en renfort. La reconstruction des méthodes de travail, la reconstruction de l’ensemble de ce pianoforte était la condition préalable pour que je puisse commencer à restaurer l’original. Il faut rappeler une fois de plus que l’objectif initial était de préserver la substance historique de l’instrument dans son intégrité. Depuis, la restauration a permis de reconnaître le bon état de conservation de la substance. Pour des informations plus détaillées sur le cordage, le déroulement des travaux et les interprétations approfondies des traces de travaux, veuillez vous référer au rapport de restauration complet qui sera achevé prochainement. Une fois que ce pianoforte grâce à une reconstruction en fac-similé avec sa mécanique d’origine fut redevenu jouable pour la première fois, ses qualités sonores ont donné lieu à de nombreuses déclarations, émouvantes. J’ai trouvé l’expression la plus appropriée dans une citation de Rudolf Steglich, daté d’une époque certes discutable : l’annuaire Mozart de 1941 qui déclare sur le piano Walter de Mozart : « Ce n’était pas n’importe quel instrument parmi tant d’autres. C’était un sommet. l’outil parfait pour la réalisation idéale d’un être sonore, dans lequel la nature et la culture, l’élémentaire original, le personnel et le spirituel, se combinent harmonieusement de manière unique, outil de l’être sonore de la musique classique dont la principale production musicale, étroitement liée à la poésie de Goethe, était la musique de Mozart ». Je ne peux me débarrasser du sentiment que ces pensées s’appliquent également à notre instrument. 


Helmut Balk,
Greifenberg am Ammersee,

 
 
 

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